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Black Lung

Interview réalisée par Alex

1) Pour commencer pouvez-vous vous présenter en tant qu'individus, ce que vous faites en dehors du groupe, vos passions, activités, etc... Quand et comment avez vous découvert le hardcore / punk?

Morgan : Salut, moi c'est Morgan, chanteur. En dehors du groupe il y a le travail qui me prend pas mal de temps. Puis les amis, les concerts. Sinon j'adore fouiller dans les brocantes et acheter des vieux trucs. Dessiner aussi. Mais je passe également beaucoup de temps avec Adis, mon amour. Pour ce qui est de la musque, c'est simple… J'écoutais du punk français au collège et à la période de mon entrée au lycée, je suis retombé sur un pote d'enfance au détour d'une rue. C'était marrant, on ne s'était pas vu depuis 5 ans alors qu'on habitait à 800 mètres l'un de l'autre. Il s'est trouvé qu'il écoutait lui aussi du punk. Il avait bien plus de disques que moi et m'en a prêté quelques uns. On s'est revu régulièrement, puis sont venus les concerts, de plus en plus fréquents (au Squat du 13 notamment), puis les soirées à écouter des groupes inaudibles et raconter des tas de conneries…Le renouveau d'une belle complicité et la naissance d'une passion pour le punk hardcore.(merci Manu !!).

Seb : Je m'appelle Sébastien. J'habite les Yvelines et je joue de la batterie dans Belle Epoque. En dehors du groupe, je fais de la prévention dentaire en école. Ma plus grande passion c'est la musique. C'est même une grande histoire d'amour !! Sinon, j'aime bien la photo aussi… Ca fait 6 ans que je fréquente le milieu des free party et avec des potes on a monté un sound-system il y a 2 ans (HD-Test). Le premier groupe punk que j'ai écouté c'est les Béruriers Noirs. J'avais 10 ans… Après comme beaucoup de monde j'ai écouté les Gun's, Metallica, Pantera, Tool, etc… et ce n'est que vers 16 ans que je me suis mis au hardcore punk.

Hervé : Salut, je m'appelle Hervé, j'ai 21 ans, je suis étudiant en sociologie et actuellement je suis facteur à la Poste parce que j'ai besoin de thunes… C'est plutôt chouette comme métier. En tout cas, c'est le mois chiant de tous les tafs saisonniers que j'ai pu faire. Bon OK, il faut se lever tôt (5h30) mais au moins, une fois le taf terminé, t'as toute ta journée de libre… Et ça me laisse, du coup, pas mal le temps pour me consacrer aux activités qui me tiennent à cœur, qui me maintiennent en vie et qui me donnent de l'espoir. La musique et le punk/hxc y occupent une grande place je ne peux pas te le cacher ! En particulier toutes les activités qui y sont liées comme aller à des concerts, en organiser, lire des zines, jouer dans un groupe, faire des mixtapes ou des compils CDR, faire des échanges, correspondre, voyager, rencontrer des gens… Je pense d'ailleurs que c'est ce dernier point qui me motive le plus dans tout ça (avec la musique en elle-même bien évidemment). J'adore rencontrer de nouvelles personnes, discuter, échanger des points de vue, des expérience, faire la fête, etc… Rien d'exceptionnel à tout ça mais en gros si y'avait pas toutes ces petites choses additionnées les unes aux autres, je crois que je me ferais bien chier. Pour ce qui est de la découverte du punk/hxc, je dois cela à mon pote manu qui m'a sauvé des griffes du metal, ahah !!! On a commencé par écouter tous les trucs Epitaph/Fat Wreck/Victory mais très vite on s'est rendu compte que le mouvement punk était bien plus riche que ça (heureusement d'ailleurs !!). Ce sont probablement les fanzines qui m'ont fait découvrir toute la dimension politique et humaine qu'il pouvait y avoir derrière la musique punk/hxc. Le squat du 13 (fermé depuis quelques années maintenant) nous a montré ce que pouvait être le DIY et le Non Profit en pratique… Après tout en a découlé naturellement je pense…

2) Comment vous êtes vous rencontrés? Est-ce que vous vous connaissiez depuis longtemps avant le groupe? Comment s'est-il formé? Est-ce que vous aviez des buts précis, si oui lesquels? Pensez-vous en avoir déjà atteint certains?

Morgan : J'étais au lycée avec Cyril (guitare). Il jouait dans un groupe avec Seb et un autre gars, mais ils n'avaient pas de chanteur. Alors j'ai fait quelques répèts avec eux. La musique ne me plaisait pas à fond mais c'était cool. Quelques semaines plus tard l'autre guitariste s'est barré et j'ai proposé à Seb et à Cyril de repartir à zéro. Il nous fallait un bassiste… Quelques jours plus tard ce dernier nous est tombé tout cuit (« cuit » c'est le mot juste car Hervé était à moitié torché ;). Il avait une basse, de la motivation, il ne lui restait plus qu'à apprendre à jouer. Une semaine après on a fait notre première répèt tous les quatre ensemble.

Seb : Je connaissais Cyril depuis quelques années déjà puisqu'on jouait ensemble dans des groupes au lycée/collège. Ensuite Morgan a commencé à chanter dans notre ancien groupe. Hervé je le connaissais très peu. Je le voyais juste dans des soirées avec les gars de Gameness mais j'avais jamais vraiment parlé avec lui, contrairement aux autres qui le connaissaient déjà. On cherchait un bassiste et ça l'a motivé. C'est la qu'on a décidé de former un nouveau groupe.Notre but est de vivre à fond la musique qu'on fait et de se faire plaisir. Pour le moment, on y arrive pas trop mal !

Hervé : J'ai connu Cyril en premier je pense… On se croisait dans nos soirées de djeuns vu qu'on habite dans le même coin. Il jouait dans un groupe avec Seb. Morgan, je l'ai connu par l'intermédiaire de thrash-manü (encore lui !) en allant à un concert de Kargol's ensemble ! Mon but au départ était de jouer de la musique. Tout simplement… Mais ce n'était pas gagné, vu mon niveau !! On a écrit 4 morceaux en un an (ce sont les morceaux qu'il y a sur la demo). Tout le monde avait l'air motivé pour continuer donc on a commencé à faire des concerts, à enregistrer, etc… A partir de là, c'était déjà plus qu'un rêve qui se réalisait pour moi… Cette année, on a joué an Allemagne, en Hollande et on a fait une tournée d'une semaine en Angleterre… Là, ça a dépassé toutes mes espérances ! Ca motive pour être encore plus actif : sortir des disques, découvrir de nouveaux lieux, pays, gens, etc… Et puis surtout vivre la musique à notre façon.

3) J'ai un peu suivi vos hésitations pour trouver un nom au début... Comment et pourquoi avoir choisi "Belle Epoque" au final?

Seb : Oui, le premier nom était Bella Striata mais on s'est dit que Belle Epoque correspondait mieux à ce que l'on vivait. Et puis c'est plus facile à retenir aussi…

Morgan : Pour ma part, dès que j'ai su que tu trouvais ce nom trop pourri, je me suis dit : « c'est ce nom qu'il nous faut ! » ahahah…

Hervé : Ouais pareil !! Qu'est ce que t'as pu me faire chier avec ça quand même ! Enfin heureusement qu'on ne t'a pas écouté (ni la « police du bon goût » bordelaise d'ailleurs !) parce qu'on final je me suis vachement attaché à ce nom et il représente beaucoup de choses pour moi.

4) Si vous deviez choisir un seul groupe à citer comme influence pour votre musique, ce serait quoi?

Morgan : « Un seul » !! C'est pas possible ! Mais si je devais en citer qu'un ce serait Carther Matha. J'adore ce groupe. C'est du vrai punk émo. Tout y est selon moi.

Seb : Difficile comme question. Je vais t'en donner deux alors : Yage et Saetia. Ce sont tellement de bons groupes.

Hervé : T'en as des questions toi !! Nous on n'écoute pas que Minor Threat, ahah… Parmi toutes les musiques ou groupes différents qu'on écoute, c'est totalement impossible de t'en citer un en particulier… Musicalement, c'est clair que les vieux groupes emo des années 90 ont eu une certaine influence sur moi (mais bon, je ne suis pas tout seul dans le groupe donc y'a sûrement pas que ça). Pour ce qui est de l'influence dans la manière de fonctionner, pour moi c'est le mouvement punk/hxc dans son ensemble. Mais aussi n'importe quel autre mouvement qui essaye de s'émanciper des schémas imposés par le business de la musique et les relations humaines pourries que ça entraîne.

5) Comment est-ce que vous décririez votre musique? La plupart du temps on vous décrit tout de suite comme un groupe d'« émo», ça vous va ou ça vous paraît réducteur?

Morgan : Ca n'a rien de réducteur que l'on nous considère comme un groupe « émo ». Et même si ça l'est, je m'en branle pas mal. Pour ce qui est de notre musique, c'est un mélange de pleins de trucs. Chacun de nous écoute des musiques diverses et variées. On apporte tous notre petite touche quoi. Après c'est évident que l'on y retrouve des choses qui ne sont peut être pas toujours très originales, mais on fait de notre mieux. Nous ne voulons rien révolutionner (de tout manière nous ne sommes pas d'assez bons musiciens pour ça !), on veut juste faire vivre ce groupe le plus possible, partager notre musique et nos messages avec les gens que ça peut intéresser. C'est tout.

Seb : Moi je n'aime pas être classé dans une catégorie en particulier. C'est un boulot pour les journalistes ça. Mais si on doit y mettre une étiquette, c'est vrai que notre musique ressemble plus à de l'« émo » qu'à du « thrash » !

Hervé : Pour moi, s'il y a une étiquette à coller (bien que j'ai plutôt tendance détester ça), ça serait « punk hardcore ». « Emo » parce que c'est cette période historique du punk qui m'a personnellement le plus touché mais cette étiquette ne veut tellement rien dire aujourd'hui… Il parait que le terme « emo » aurait même remplacé celui de « néo-metal » dans la presse rock. Cool. Je me disais aussi qu'on avait vachement d'affinités avec Pleymo et Watcha.

6) Pour rester sur le sujet « émo », y'a pas mal de punks qui critiquent ce style , ça vous inspire quoi? Moi le premier je fais souvent des blagues là-dessus, et très très peu de groupes de ce style me parlent... Est-ce que vous pensez que vous êtes différents de beaucoup de groupes de ce style? Est-ce qu'il y a plusieurs "catégories" de groupes émo?

Morgan : Honnêtement je ne pense pas que l'on puisse prétendre être différent. On est juste un groupe de gars d'une vingtaine d'années comme il y en a tant d'autres. Après il y a le fait que nous évoluons dans une démarche DIY, mais nous ne sommes pas le seul groupe émo à le faire. On ne cherche pas à se différencier des autres groupes, on fait juste ce que l'on a envie de faire, à savoir : la musique, la démerde et la simplicité dans nos rapports avec les gens. Après est ce que cela fait de nous un groupe différent ?! Ce n'est pas à nous d'en juger.

Seb : Personnellement, je trouve que beaucoup de punks critiquent sans vraiment savoir pourquoi. Souvent c'est juste pour suivre le discours dominant dans la scène, genre «ça c'est punk mais ça, ça ne l'est pas ». Un punk qui écoute de l'emo ça ne fait pas bien j'imagine ? Pour revenir à ta question, je ne pense pas que l'on soit si différent des autres groupes emo. On a tous été influencé par les mêmes groupes je pense. Enfin, même dans l'émo, il y a plusieurs branches, donc en fait je sais pas trop… On essaye d'être le plus naturel possible et de laisser transparaître notre passion pour la musique qu'on joue. Et ça j'espère que les gens s'en rendent compte…

Hervé : Dans la continuité de ma réponse précédente, je pense que ce terme veut tout et rien dire aujourd'hui. Moi ça m'évoque un certain type de groupes, de musique, d'état d'esprit en lien direct avec le mouvement punk hxc des années 90 (que j'ai connu principalement par les disques, les paroles et les zines de cette époque) mais ce ne sont probablement pas les mêmes références pour tout le monde… Aujourd'hui n'importe quel groupe qui met des mélodies et des cris dans sa musique est forcement « emo ». Ouaip, moi je veux bien. Ca ne veut pas dire que je m'en sentirais proche pour autant. Si tu fais tout le temps des blagues sur l'emo (c'est vrai je confirme ;), c'est sûrement parce que tu ne vois que les aspects négatifs véhiculés par ce style. Aujourd'hui l' « emo » est souvent déconnecté de l'état d'esprit originel du punk. Mais j'ai l'impression que ton avis sur la question évolue ces derniers temps, je me trompe ?

7) Pour en venir à vos textes , dans l'explication de "Hier , si loin" , vous parlez du fait de grandir , de vieillir , des gens qui parlent de "devenir adultes" et pour qui la jeunesse finit en gros à 20 ans... Comment voyiez vous votre avenir? Est-ce que vous y pensez ou pas? Est-ce que vous vous voyiez avoir un mode de vie "alternatif" pendant toute votre vie, faire des groupes, tourner, jouer dans des squats et essayer de développer des idées différentes, ou bien vous voyiez vous plutôt en couple avec des enfants et un bon taf et une maison en proche banlieue?

Morgan : Mon avenir, à vrai dire, je n'y pense pas tellement. Je vis assez au jour le jour sans trop me poser de question sur ce qu'il adviendra. Je sais juste que je ne veux pas entrer dans la logique  « travail, travail…sinon pas de points retraite». Je veux voyager, rencontrer du monde, travailler juste ce qu'il faut pour vivre et ne manquer de rien d'essentiel. Rester simple et ouvert. Voilà, ce sont les grands axes de mon avenir dont je suis à peu près sûr. Le reste on ne peut pas savoir. Il suffit parfois d'une simple rencontre pour qu'une vie prenne un tout autre visage. Pour ce qui est de vivre en couple, je ne pense pas que ça empêche de s'investir dans la « scène ». Les enfants c'est une autre histoire mais on peut tout de même trouver un compromis. Et pour ce qui est du bon taf et de la maison en proche banlieue, je laisse ça aux passionnés du travail, aux zombies du métro parisien, aux gens qui s'agenouillent sans arrêt en espérant un jour toucher du bout des doigts cette promotion qui orne chaque nuit les parois de leurs rêves les plus exquis. J'espère ne pas tomber dans ce genre de schéma et pouvoir contribuer le plus longtemps possible à l'activité de la scène punk hardcore, que ce soit en jouant dans des groupes, en organisant des concerts ou des tournées, en faisant un zine ou même peut être un label, qui sait ?

Seb : Comme on dit : « on ne sait pas de quoi la vie sera faite ». Bien sûr je pense à mon avenir et j'ai des projets. Le tout c'est d'avoir les clefs pour les mettre en place et ce n'est pas toujours facile. Continuer à faire de la musique serait génial. Avoir une femme et des enfants aussi. Faut essayer de faire les deux.

Hervé : Pour ce qui est de « faire des groupes, tourner, jouer dans des squats et essayer de développer des idées différentes », je vois tout ça dans un avenir proche bien évidemment. C'est déjà ce qu'on a commencé à faire et j'espère bien continuer encore longtemps dans cette voie. Cela dit, je pense qu'on est forcement amené à évoluer (le contraire serait même dangereux !). Plus je vais vieillir, plus j'espère découvrir de nouvelles musiques, de nouvelles façons de penser. Ca serait quand même dommage que ma vie se limite au punk/hxc. Jusqu'ici ce mouvement m'a énormément apporté sur un plan humain, politique et intellectuel. Ce n'est pas pour autant que j'ai envie de m'enfermer là dedans. Le microcosme dans lequel on évolue est loin d'être parfait et bien souvent ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Cependant je pense que ma passion pour la musique et l'approche qui va avec (c'est-à-dire appréhender la musique en tant qu'expérience humaine plutôt que lucrative) je les ai en moi et je pense qu'elles resteront. Petit à petit, je me dis rend compte qu'on est en grande partie maître de nos actes, de nos décisions et de notre choix de vie… ChacunE se dirige vers ce qu'il lui semble le meilleur même si je sais très bien que ces choix sont loin d'être simples et découlent la plupart du temps de pressions extérieures. Beaucoup de choses de notre belle société ne correspondent pas à mon mode de vie et de pensée. Petit à petit j'espère m'émanciper d'une grande partie de ces choses qui me pourrissent la vie. Je sais qu'il n'existe pas de situation idéale mais je crois qu'on peut quand même se donner les moyens d'atteindre le mode de vie qui nous correspond le mieux.

8) Et selon vous pourquoi est-ce que tant de punks, anarchistes et gens révoltés en général se calment et se rangent et perdent de leur rage en vieillissant?

Seb : A mon avis beaucoup de gens se calment en vieillissant parce qu'ils sont fatigués de défendre des idées qui n'aboutiront jamais. Plus tu vieillis, plus tu es désillusionné. Le temps passe et rien ne se passe. J'ai l'impression que quand tu vieillis tu as plus de facilité à rentrer dans le rang… Est ce que pour autant, c'est un truc de jeune d'être punk ou anarchiste ? Je ne sais pas…

Hervé : Pour moi il y a deux cas de figure : il y a ceux/celles qui passent d'un extrême à l'autre (les « punks de passage ») et ceux/celles qui ont vraiment des convictions mais qui, au fur et à mesure des années, perdent leur illusions et finissent par se ranger… Dans le premier cas, c'est souvent dû à des effets de mode ou de groupe… Tu prends l'exemple des Straight Edge ou des végétarienEs… CertainEs le restent toute leur vie parce que ça correspond à des convictions profondes mais j'en ai vu aussi beaucoup être SxE un jour et alcoolo le lendemain. Je n'ai pas vraiment d'explication à cela. Les gens évoluent c'est tout. Peut être que c'est une question de tempérament ou de conditionnement. Je ne sais pas… Dans le second cas, il me semble que c'est bien souvent les pressions exercées par la société qui les poussent à se ranger. C'est plus facile de rejeter le monde du travail, les responsabilités et tout ce qui va avec, quand on est encore au lycée et qu'on habite chez papa/maman. Enfin, cela est valable aussi pour les gens qui touchent le RMI. Au début c'est cool, et puis après on se rend compte que ça ne durera pas éternellement et que, arrivé un moment donné, on va être confronté à un choix : rentrer dans le rang en travaillant un minimum ou alors au contraire choisir d'être définitivement unE excluE, unE marginalE, unE « pirate ». Mais je ne peux pas trop te parler de tout ça vu que je n'en suis pas encore là et que je fais encore parti de ceux/celles qui habitent chez papa/maman. Cependant, je pense que c'est souvent par confort et paresse que les gens se rangent. Bien sûr le système dans lequel nous vivons nous mets des bâtons dans les roues et la corde autour du coup mais la plupart d'entre nous ont quand même une certaine marge de manœuvre. ChacunE est libre de faire le choix de vie qu'il/elle entend même s'il est vrai que certains seront plus difficiles que d'autres à mettre en place.

Morgan : Le temps les use, les illusions s'estompent peu à peu, l'énergie n'est plus. Ils ont 40 ans et autour d'eux leurs camardes n'ont plus les points serrés et la bouche pleine de révolte. Mais plutôt les mains molles et des biens à crédit pleins la tête. Alors ils se font une raison. Ils raccrochent leur perfecto clouté sur un cintre derrière une porte qui ne s'ouvrira plus et plient soigneusement les bannières aux slogans grinçants et accrocheurs. Ils se retrouvent quelques années plus tard autour d'un verre, dans un bar de banlieue et se disent le sourire aux lèvres et les yeux puant la nostalgie : « au moins, on aura essayé ».

9) Dans "Privé(e) de vie" vous parlez des medias et entres autres de la façon dont le système nous présente la guerre, et du fait qu'il y ait beaucoup de mensonges et de manipulations dans tout ça... A votre avis jusqu'à quel point est-ce qu'on nous ment? Et quel est le but? Que pensez vous des medias alternatifs comme les zines, les journaux libertaires / anarchistes, les sites du style indymedia?

Morgan : Je ne pense pas que l'on nous mente à proprement parler. C'est juste que les informations que nous livrent les médias sont bien souvent sorties de leur contexte. On peut faire dire ce qu'on veut aux images par exemple. Je pense qu'il faut savoir prendre du recul par rapport à tout ça. Il faut se donner les moyens de pouvoir analyser ce que l'on nous propose si l'on ne veut pas avoir une vision partielle de la situation. C'est là que les médias alternatifs et indépendants se révèlent cruciaux pour avoir un complément d'information et une approche différente de l'actualité.

Seb : Je suis persuadé qu'on nous ment tout le temps. Si la vérité était toujours dévoilée, le gouvernement ne pourrait plus contrôler les masses. Les médias nous dictent un mode de conduite à adopter, à suivre quand on est un homme ou une femme. Mais si tu te démarques un peu de la norme, tu risques tout de suite d'avoir des problèmes. Moi je trouve ça dommage. Le contrôle des masses mène à l'uniformité et au calme plat sur un plan créatif.

Hervé : Souvent je me dis que tout n'est que mensonge et manipulation. Quand tu t'intéresses un peu à la vie politique, économique ou sociale, tu te rends compte que c'est une belle mascarade et que toi au milieu de tout ça, tu n'es qu'un numéro dont personne n'a strictement rien à foutre. C'est intéressant et même essentiel de voir comment les choses se passent et voir à quel point le monde ne tourne pas rond mais c'est effrayant aussi. C'est pour ça que, pour te dire la vérité, je suis l'actualité de très loin. Car plus tu regardes la télé par exemple, plus tu entres inconsciemment dans la logique des médias. Tu ne sais pas où commence et où s'arrête la manipulation.

10) Et pour rester sur la guerre, que pensez des manifestations, entre autres donc contre la guerre? Est-ce que vous pensez que c'est utile, important, et pourquoi?

Morgan : Je pense que c'est une bonne chose. Cela montre bien que le carnage des deux guerres a marqué les esprits (du moins pour nous, français). Heureusement d'ailleurs… Je pense que les générations actuelles et futures n'ont plus envie de se battre et le font savoir. Mais la paix se cultive à plus petite échelle avant tout. Si chacun montrait un peu plus de respect envers son entourage, ça serait déjà un grand moyen d'action contre la guerre ! Ca aurait bien plus d'impact que toutes les manifestations du monde. En théorie ça parait simple mais dans les faits c'est toujours plus dur. On ne peut pas être en accord avec tout le monde et on ne le pourra jamais. Ce qui me désole encore plus en ce moment, c'est que les guerres qui se profilent sont des guerres de religion. C'est pour moi la plus grosse des conneries humaines que de se battre pour un dieu ou une croyance mystique qui par ailleurs est censé apporter la paix et la sagesse… Je ne saisi pas du tout l'enjeu de ce genre de luttes.

Seb : Les manifestations contre la guerre sont un bon moyen de montrer aux dirigeants que les gens en ont assez. C'est important de le faire. Ca prouve que les gens ont des choses à dire… Et puis les manifestations sont fédératrices aussi. Mais je pense que tant que nous serons dirigés par des escrocs en costume, cela ne servira pas à grand-chose. Il y a trop de questions de pouvoir et d'argent en jeu.

Hervé : Bien sûr les manifestations ont encore un rôle à jouer car c'est un des derniers moyens d'action collective qui permet d'être relégué par les médias traditionnels. Cependant je ne me sens pas l'âme d'un militant (est ce que c'est ma génération aseptisée et conformiste qui veut ça ?) mais j'essaye quand même de participer à ce genre de mouvements collectifs quand je me sens concerné directement. On ne peut pas se battre pour toutes les causes su monde (enfin, perso moi je peux pas) mais si chacun fait connaître ses positions à son niveau, c'est déjà pas mal. Mais je suis assez d'accord avec Morgan sur le fait que le changement se fait avant tout dans notre quotidien et dans nos relations de tous les jours. Beaucoup de gens tiennent de beaux discours mais sont incapables de l'appliquer à leur cas personnel. C'est bien dommage. Je n'aime pas trop les slogans mais celui d'Attac me plait bien : « Pensez global, agir local ». C'est important d'être au courant de ce qui se passe autour de nous mais c'est dans notre quotidien que le changement s'effectue.

11) Que pensez-vous du travail salarié? Est-ce que vous pensez que c'est possible d'avoir un travail "plaisant"? Est-ce qu'il n'y a pas une contradiction là-dedans, vu que le travail tel qu'il est organisé dans le système actuel c'est soit être exploité, soit exploiter les gens?

Hervé : Je suis le seul à ne pas travailler dans le groupe donc les autres seraient probablement plus aptes à t'en parler… A vrai dire, je me pose encore des tas de questions à ce sujet. Le monde du travail me parait encore fictif. Je ne suis d'ailleurs pas pressé d'y entrer. Les expériences professionnelles que j'ai pu avoir m'ont montré que la routine s'installait très rapidement… Autour de moi, j'en vois plus d'unE se laisser submerger par son travail et ne plus prendre le temps d'avoir une vie à côté. Enfin, à chacunE de voir ce à quoi il/elle aspire. Malheureusement la société ne laisse pas beaucoup de choix étant donner que le travail salarié est à la base de notre système. Donc tant pis pour ceux/celles qui ne conçoivent pas leur vie en fonction de ça.

Morgan : Personnellement mon travail me plait. Je n'y vais jamais à reculons. C'est sans doute que je bosse seul qui fait toute la différence. C'est une toute petite boutique de restauration de mobilier ancien. Nous sommes deux : mon patron et moi. Lui s'occupe de tout ce qui est déco, gestion, etc… et moi je fais toute l'ébénisterie. Je m'organise comme bon me semble. Je n'ai personne qui me donne des ordres et tout service rendu est récompensé en conséquence. Je m'y sens vraiment bien. Je suis conscient que je genre de fonctionnement reste extrêmement rare et c'est bien dommage. Car si tout le monde était dans ma situation, les métros parisiens seraient sans doute remplis de gens plus souriants. Donc voilà, je pense que c'est possible d'avoir un travail plaisant mais il faut le trouver ce qui n'est pas chose simple.

Seb : Le travail salarié permettrait soit disant le bon fonctionnement de la société. Et puis les hommes et les femmes aurait besoin de travailler pour vivre parait il. Je n'en suis pas tout à fait sûr. Heureusement ça arrive que des gens soient passionnés par leur boulot mais c'est loin d'être le cas de tout le monde.

12) Hervé il y a quelques temps tu me parlais de ce que tu pensais de la religion, catholique en particulier... Si tu pouvais développer un peu là-dessus... Est-ce que vous êtes d'accord s je vous dis que la / les religion(s) c'est un gros tas de merde?

Morgan : Pour ma part, la religion est un gros tas de merde lorsqu'elle porte atteinte à la liberté et aux choix des autres. Un petit gars que va tous les dimanches à la messe et qui est respectueux et dévoué parce que c'est Dieu qui lui a soufflé à l'oreille la semaine dernière, ne me dérange pas. Mais alors celui qui vient te distribuer des tractes dans la rue, qui fait sans arrêt référence à la Bible ou au Coran ou je ne sais quoi et qui te soutient que sa voix spirituelle est la seule à être valable, lui par contre me pose un problème. Parce que là, la liberté et l'ouverture d'esprit je ne les vois plus.

Seb : Je pense que la religion a crée plus de désastres que de bonnes choses. Mais la faute à qui ? Aux hommes tout simplement. Et je ne sais pas si tu as remarqué, mais c'est toujours quand les gens sont désespérés qu'ils se mettent à parler de Dieu. Je n'ai rien contre ceux qui pratiquent, au moins ils croient en quelque chose, mais par contre, j'en veux beaucoup plus aux gens qui gèrent ce business. La religion, c'est avant tout une affaire de gros sous et de pouvoir.

Hervé : Pfff… j'en aurais des choses à raconter là dessus. Pour moi la religion est un sujet complexe. En tout cas je différencie les religions organisées des croyances personnelles. Je suis issu d'une famille d'origine catholique donc j'ai eu pas mal l'occasion de réfléchir à ce sujet. Je me suis rendu compte en tout cas, que personne n'appréhendait la religion de la même façon. C'est pour ça que ces conneries de croyance/morale universelle, j'y crois pas du tout. Les religions organisées sont entourées d'hypocrisie, de violence, de luttes de pouvoir et ça ne date pas d'hier. C'est avant tout un moyen de contrôle des masses. Au nom d'une force qui nous serait supérieure, on peut faire faire n'importe quoi aux gens. Et sur un plan personnel, ça peut avoir de lourdes conséquences. Entre autres au niveau des rapports entre hommes et femmes, que ce soient sexuelles ou relationnelles, ça a foutu un beau merdier je trouve. Enfin, personnellement, c'est ce qui m'affecte encore le plus aujourd'hui. Mais je pourrais te citer des tonnes d'exemples des désastres qu'ont causé les religions. Sur un plan spirituel, c'est un autre problème. Je vois des gens autour de moi sur qui croire en un dieu a eu un impact réellement positif. Je le dis souvent mais rien n'est tout noir ou tout blanc. La Bible ou le Coran ne doivent pas être perçus comme un ramassis de conneries. Ces livres sont des clefs pour comprendre notre histoire et la situation dans laquelle on se trouve aujourd'hui. On se rend alors compte que même en étant athée c'est hallucinant de voir à quel point la religion à un impact sur notre vie à tous et comme il est dur de s'en émanciper. Sur un plan plus « philosophique », il y a quand même un certain nombre de messages positifs à en tirer (mais dont souvent les croyants n'ont rien à foutre. C'est ça le comble). Je garde bien évidemment des restes de mon éducation religieuse et je ne rejette absolument pas certaines des valeurs qui m'ont été inculquées (par mes parents essentiellement je dois l'avouer). Par exemple la solidarité, l'entraide, la pardon, l'humilité, etc… Mais on peut très bien avoir ces mêmes valeurs sans être passé par la case « religion ». C'est même mieux je pense… Peut être que je choque les punks bien pensants en disant cela mais je m'en fout. A vrai dire, je pourrais développer encore un peu plus sur le sujet mais je ne vais pas monopoliser la place… Si quelqu'un veut en discuter plus en profondeur avec moi, qu'il se sente libre de me contacter. A la limite je ferais peut être une colonne à ce sujet dans le prochain Black Lung.

13) Et voilà c'est tout... Si vous voulez ajouter quoi que ce soit, n'hésitez pas à prendre toute la place que vous voulez, j'espère que les questions n'étaient pas trop pourries... Et à bientôt.

Morgan : Je voudrais juste te dire encore mille mercis pour cette interview. Je suis vraiment content que tu élargisses un peu tes goûts musicaux (la preuve, un groupe « emo » dans Black Lung c'est pas rien ;). Ton zine est vraiment génial et je suis content d'y avoir participé. Voilà, c'est tout. Merci encore.

Seb : Ouais, merci beaucoup Alex et à bientôt !

Hervé : C'était cool de répondre à tes questions. J'espère ne pas avoir été trop confus dans mes réponses. C'est toujours dur de mettre de l'ordre dans ses idées. J'ai toujours l'impression d'être partiel dans mes réponses et peur d'être mal compris. Enfin, si certaines personnes veulent réagir à nos propos, qu'elles n'hésitent pas à le faire en nous contactant par e mail ( belle_epoque_sucks@hotmail.com ) ou par courrier (Hervé Corre 104, rue des près aux bois 78220 Viroflay).

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